La prise en charge des acouphènes est difficile pour diverses raisons : la vraie complexité, la mise en échec fréquente du thérapeute, la mauvaise réputation au sein du corps médical mais aussi du public, enfin le peu d’examens spécifiques à ce symptôme (23). Même s’il n’existe pas de traitement miracle soulageant vite et définitivement les patients atteints d’acouphènes chroniques, la médecine ne s’avoue heureusement pas totalement impuissante : en effet, deux axes de traitements coexistent. D’un côté la thérapeutique médicamenteuse, avec ses échecs et ses espoirs, de l’autre la prise en charge psychologique (les acouphènes s’accompagnent souvent d’anxiété ou de dépression).
La gêne engendrée par la survenue des acouphènes
dépend de ses caractéristiques (hauteur, intensité,
permanence…) mais aussi de facteurs propres au patient acouphénique
: en effet, deux personnes percevant des acouphènes de même
intensité, de même fréquence et dont la baisse des
performances auditives sont identiques, peuvent ressentir une gêne
totalement différente, l’un ne supportant pas du tout ses acouphènes,
et l’autre n’y faisant pas attention.
Lors de la survenue d’acouphènes, il est possible de détecter
deux phases successives : la première est la détection de
l’acouphène, la seconde est la perception de l’acouphène.
Détection de l’activité neuronale à l’origine des
acouphènes :
Dans notre environnement perceptible, les sons jouent un rôle
essentiel.
Les animaux qui vivent dans la crainte d’attaques de prédateurs
ont une audition sensible et spécifique. Ainsi ils peuvent détecter
des bruits très faibles et à la moindre alerte tenter d’y
échapper. Ces signaux provoquent des réactions d’anxiété,
c’est le réflexe de survie.
Nous réagissons de la même manière au son d’un
klaxon en relevant automatiquement le pied du trottoir. C’est le même
réflexe conditionné. Quand un son a une signification particulière,
l’appel de son nom par exemple, nous répondons de manière
réflexe. En pleine nuit, même pendant le sommeil, des sons
de faibles intensité mais ayant une signification émotive
(pleurs de son enfant par exemple) peuvent être détectés
par les fibres subconscientes au niveau du cortex et mobiliser le système
limbique (centre des émotions), et du système sympathique
(mise en alerte des fonctions cérébrales, cardiaques, et
pulmonaires) : les muscles se tendent, le cœur et le souffle s’accélèrent…
Ainsi, chaque son entendu ou appris à une signification propre
auquel lui est attaché une « valeur émotive ».
Toutefois, les acouphènes font partie des sons n’ayant aucune signification
liée à l’apprentissage. Ce nouveau signal n’a aucun modèle
en mémoire… et la réponse en retour de l’organisme est une
augmentation de l’anxiété qui s’installe petit à petit.
L’influence principale des acouphènes est souvent d’induire un comportement de peur, perçu comme une menace. Ainsi, ces patients focalisent-ils toute leur attention sur l’acouphène et ne peuvent s’en détourner : la réponse conditionnée aux acouphènes induit la détresse et le stress, dus à la perte de ce qu’était avant « l’environnement stable ».
Pour de nombreux patients, la crainte extrême des acouphènes
se manifeste par des états phobiques, semblables à celui
de la crainte des souris, des araignées, des endroits exigus.
Ce sentiment est entretenu par le manque d’information des médecins
: « on ne peut rien faire… », « il n’y a aucun traitement
à l’heure actuelle… », « revenez dans trois mois… »
etc.
Toutes ces phrases prononcées par les médecins démontrent
le désarroi sur la marche à suivre face aux patients.
Perception des acouphènes et tolérance :
Une fois l’acouphène détecté, le signal auditif
est intégré et un sens lui est attribué. C’est à
ce niveau qu’apparaissent les relations entre système auditif, lymbique
et préfrontaux. En effet, les patients acouphéniques ressentent
beaucoup plus leurs acouphènes lorsque le stress, la colère
ou la fatigue les envahi. Ainsi, des acouphènes bien tolérés
pendant plusieurs années peuvent se révéler invivables
suite au décès d’un proche, d’une rupture, d’un licenciement…
Le médecin a donc un rôle primordial à ce stade,
où le malade attend beaucoup de lui : être rassuré,
compris, et … «guéri ».
3.1 Les attentes et les résultats escomptés (24)
3.1.1 La disparition des acouphènes
Cet objectif idéal, formulé par tous les patients (surtout
parmi les plus jeunes) peut être rapidement atteint lorsque la pathologie
sous-jacente se corrige facilement par la chirurgie (otospongiose, otite
séreuse) ou par des traitements à visée locale (antibiothérapie).
Mais dans la majorité des cas, la disparition totale des acouphènes
ne doit pas être envisagée dans un avenir proche. La fréquence
de la disparition des acouphènes est de plus difficile à
apprécier car absence d’acouphènes signifie aussi absence
de consultation médicale.
3.1.2 Le deuil de l’audition normale (acceptation
de l’acouphène)
Classiquement, quatre phases se suivent depuis la prise de conscience
jusque l’acceptation :
Le patient commence par prendre conscience de la durée dans
le temps de ses acouphènes, du caractère potentiellement
irréversible de celui-ci ainsi que de la perte de l’audition normale.
La seconde étape marque le refus et l’interrogation suivie d’une
étape de dépression avec modification du comportement à
l’égard des proches. Enfin la quatrième phase est celle de
l’acceptation : la vie sera comme avant malgré l’atteinte auditive.
3.1.3 L’habituation
Même si elle est préconisée depuis toujours, l’habituation
est un mécanisme naturel et salvateur en matière d’acouphènes.
En effet, tout au long des voies auditives, des filtres sélectionnent
les bruits extérieurs de manière inconsciente et automatique.
Si ces bruits sont neutres, ils sont perçus comme sans informations
importante et sont mis de côté. Si au contraire il a une signification
affective, alors les filtres disparaissent et tout le système nerveux
devient en alerte. L’habituation consiste donc à rétablir
ces filtres.
Toutefois, l’habituation pourra être ralentie si l’acouphène
continue d’être considéré comme une menace ou par le
mauvais usage de psychotropes et notamment les anxiolytiques ou les hypnotiques.
3.1.4 La tolérance
La tolérance s’installe à plus ou moins longue échéance
selon les malades. On considère que la tolérance est bonne
lorsque l’acouphène ne constitue plus un élément intrusif
dans la vie des patients, qu’il n’influence plus le comportement social,
et que les croyances négatives à l’égard des acouphènes
sont parties.
Toutefois, même si la tolérance est obtenue rapidement,
elle peut être sujet à variations, d’où la nécessité
d’une aide psychologique dans les premiers temps.
3.1.5 La guérison
Elle est difficilement quantifiable. Tout comme la disparition rapide
des acouphènes, elle reste très aléatoire et, lorsqu’elle
survient, elle n’est pas à l’origine de nouvelles consultations
médicales.
Peut-on parler de guérison lorsque la tolérance ou l’habituation
est maximale ?
La réponse est « oui » lorsque le patient se sens
soulagé et que son obsession envers l’acouphène a disparu.
3.2 Dialogue médical
Bien souvent, l’acouphène rend le médecin perplexe : les acouphènes ne passionnent pas les chercheurs, les données objectives manquent, et en plus il n’existe pas de consensus sur la manière d’évaluer les résultats des études consacrées à ce sujet (25).
3.2.1 Ecouter et questionner
L’intérêt apporté par la discussion est bénéfique
tant pour le médecin que pour le patient.
L’écoute par le médecin s’avère être primordiale
: en effet, le malade éprouve le besoin de raconter tout son parcours
(les praticiens consultés, les examens prescrits, les traitements
proposés...) Bien souvent d’ailleurs l’intensité et la longueur
de l’exposé sont proportionnelles à la souffrance morale.
De son côté, le médecin doit faire préciser
certains points utiles à son diagnostic tout en évitant toute
interruption trop brutale de l’exposé.
Les questions doivent trouver une réponse juste, claire et informative.
En voici quelques unes accompagnées de réponse adéquates.
? D’où vient ce bruit ?
Le bruit ne vient pas des oreilles mais du cerveau. Le message transmis au cerveau n’est pas correctement fabriqué, il est incomplet et le cerveau en prend conscience en fabricant un bruit, l’acouphène.
? Le bruit va-t-il disparaître ?
Puisqu’il provient du cerveau, le bruit ne peut disparaître totalement que dans de très rares cas (2 à 3%). La seule manière de faire disparaître ce bruit serait d’opérer le cerveau. Or c’est aujourd’hui inconcevable car les centres de l’audition sont situés à proximité d’autres centres fondamentaux tels que le langage ou la motricité.
Toutefois, le cerveau a la capacité de s’habituer à ce bruit. Ce processus est spontané mais se déroule sur des périodes plus ou moins longues et plus ou moins complètement selon les personnes. Un certain nombre de personnes ne va jamais consulter car, seules, elles se sont habituées. En général, ce processus ne s’est pas fait ou a été ralenti à causes d’absence d’informations rassurantes.
? Les acouphènes disparaîteront-ils si on sectionne mon nerf auditif ?
Hélas non. Malgré plusieurs tentatives, il est aujourd’hui convenu que la section du nerf auditif ne résout pas tous les problèmes. L’hypothèse est la suivante : L’acouphène est initialement originaire de l’oreille interne (acouphène périphérique) et fait souvent suite à un dysfonctionnement des cellules ciliées internes (presbyacousie, traumatisme sonore, toxicité médicamenteuse) entraînant des décharges des fibres nerveuses (nerf auditif) dont le contrôle n’est plus assuré par les centres supérieurs. Ce sont ces décharges qui seraient à l’origine des acouphènes. Si dans un premier temps les décharges désordonnées n’atteignent que le nerf auditif, dans un deuxième temps ce n’est plus vrai. Les décharges se produident après les relais centraux sur les fibres conduisant l’information auditive au cerveau. L’acouphène se « centralise » et n’est alors plus chirurgicalement opérable par la section du nerf auditif puisque les décharges se produisent en amont.
? Cela va-t-il s’aggraver ?
La réponse est « non ». L’aggravation des symptômes est principalement liée aux effets extérieurs : réponse inquiète du médecin, perte d’un être cher, conflit familial ou professionnel, émotion intense…
? Vais-je devenir sourd ?
La réponse est non. Aucune étude scientifique n’a aujourd’hui
pu prouver que les patients acouphéniques avaient plus de chance
d’être sourd que n’importe quel autre individu.
Toutefois, il est certain que la baisse d’acuité auditive peut
parfois accompagner les acouphènes. Néanmoins, cela ne présage
en aucun cas d’une quelconque gravité à long terme.
2.3.2 Satisfaire le besoin de comprendre
Savoir pourquoi et comment les acouphènes sont apparus est la première étape vers la guérison. Les patients doivent comprendre que si les acouphènes sont un phénomène sonore, ce n’est pas de l’oreille qu’ils proviennent, mais bien du cerveau. Ce modèle est d’autant plus difficile à faire comprendre que les patients ont entendu parler de « cellules mortes dans l’oreille interne » ou de « troubles vasculaire de l’oreille ».
2.3.3 Donner un objectif raisonnable à atteindre
Pour le patient, le principal objectif est de faire disparaître totalement l’acouphène car il est souvent convaincu qu’il n’existe que deux solutions : soit l’acouphène disparaît et la vie sera à nouveau comme avant, soit l’acouphène reste et la souffrance avec. Le praticien devra convaincre le patient qu’il existe d’autres solutions.
A plus ou moins longue échéance l’évolution des
acouphènes peut s’orienter selon trois directions :
? L’acouphène disparaît : Ceci représente semble-t-il
environ 10% des cas.
? L’acouphène reste comme il est : Il est pénible et
perturbe la vie sociale et psychique.
? L’acouphène ne disparaît pas mais ne dérange
plus : C’est la plus probable des solutions, même si elle est très
éloignée des espoirs de guérison totale du patient.
Le cerveau s’est habitué à l’acouphène et l’attention
qui lui est portée n’est plus aussi importante.
L’illustration à l’aide d’exemples simple est recommandée
: Une femme vivant en ville près d’une rue bruyante part en vacances
dans un lieu calme. La nuit, ne trouvant pas le sommeil du fait du silence,
elle dut ouvrir la fenêtre afin de s’endormir avec le bruit de la
rue. Elle était tellement habituée au bruit qu’elle devait
fuir le silence pour s’endormir !
L’objectif à atteindre est donc de faire en sorte que l’acouphène
ne représente plus une menace et que sa présence ne perturbe
plus l’environnement du patient.
L’habituation est un phénomène spontané dont l’apparition
est très variable dans le temps.
3.3 Prise en charge des acouphènes
La prise en charge des patients atteints d’acouphènes est multidisciplinaire
: elle allie le traitement somatique à l’aide de drogues chimiques,
le traitement psychologique et dans certains cas l’utilisation de prothèses
auditives. Tout d’abord il s’agit dans la mesure du possible de faire disparaître
les acouphènes, lorsque l’étiologie est découverte.
C’est la traitement de la cause. On utilise soit la chirurgie, soit des
moyens médicaux.
Ensuite, tout le traitement doit être orienté vers une
amélioration de la qualité de vie des patients, notamment
par la prise en charge des comorbidités et des conséquences
des acouphènes : insomnie, anxiété, dépression.
Enfin, favoriser l’habituation et empêcher tout processus allant
à son encontre sont des mesures plus spécifiques aux acouphènes.
3.3.1 Les traitements somatiques
Les pathologies diverses pouvant induire des acouphènes peuvent
être facilement guéries dans certains cas par des soins appropriés,
qu’ils soient de nature chimique ou chirurgicale. Mais ces interventions
ne suffisent pas toujours à faire disparaître les acouphènes.
Peu de spécialités pharmaceutiques ont une AMM (Autorisation
de Mise sur le Marché) pour les acouphènes, mais dans la
pratique courante, de nombreuses spécialités sont utilisées,
certaines avec de bons résultats.
On peut établir trois classes de remèdes :
Ceux dont les résultats sont prouvés mais dont l’action
est de courte durée et la maniabilité malaisée. C’est
le cas du courant électrique continu et de la Lidocaïne®.
La seconde classe compte tous les traitements logiques dont la prescription est justifiée par la notion de modèles physiopathologiques : les agents vasculaires agissent lorsque la cause des acouphènes vient d’une ischémie.
Enfin la dernière classe regroupe tous les traitements n’ayant
pas fait l’objet d’études cliniques contrôlées mais
dont la prescription est régie par les habitudes médicales
individuelles.
3.3.1.1 Les thérapeutiques locales
3.3.1.1.1 Les bouchons de cérumen
Les bouchons de cérumen témoignent souvent d’une mauvaise
utilisation des coton-tiges dont l’emploi inadéquate amène
à la formation de bouchons mous et jaunâtres.
Le coton-tige ne doit jamais être utilisé dans le conduit
auditif mais seulement au niveau du pourtour du méat de l’oreille.
Il est souvent source d’accidents, notamment de perforations tympaniques.
C’est pourquoi son utilisation doit toujours se faire sous contrôle
de la vue.
En cas de bouchon dur, on recommande des bains de MERCRYL LAURYLE®
pendant 10 minutes ou, si c’est insuffisant, l’utilisation de solvant de
cérumen (CERULYSE®) ou de solution de bicarbonate de soude à
10% pendant 48 heures à raison de quelques gouttes 2 à 3
fois par jour. L’utilisation de poires en caoutchouc et d’eau chaude (37°C)
en jets modérés est une autre alternative.
Dans tous les cas, il s’agit de respecter certaines règles :
? Ne pas faire de lavage sur une oreille pathologique (otite…)
? Ne pas faire un lavage sans être sûr de la présence
de bouchon de cérumen
? Eviter de retirer un bouchon solidement enchâssé (il
peut s’agir d’un cholestéatome)
? Eviter de nettoyer l’oreile à l’aide d’objets coupant tels
épingles à nourrice, cure-dents, aiguilles à tricoter
La disparition des acouphènes liés au bouchon de cérumen
va dépendre dans la majorité des cas de la manière
dont le bouchon sera extrait.
3.3.1.1.2 L’otite externe
Mêlant inflammation et infection bactérienne ou mycosique,
l’otite externe mineure se soigne facilement par des gouttes auriculaires
antibiotiques et antiinflammatoires (CORTICETINE®, ANTIBIOSYNALAR®,
POLYDEXA®) ou par traitement antimycosique (FUNGIZONE®). Lorsque
la cause de l’otite est liée à la présence d’un objet
dans le conduit auditif, il est impératif de consulter un spécialiste
et de ne rien tenter par soi-même sous peine de risquer une perforation
tympanique.
3.3.1.1.3 L’ostéome du conduit
Le traitement consiste à recalibrer le conduit lorsque celui-ci devient trop étroit.
3.3.1.1.4 L’otite séreuse
L’otite séreuse a généralement une évolution spontanément favorable en quelques semaines. Dans certains cas, il est préférable d’intervenir afin d’éviter la survenue d’otites à répétition. Dans ce cas, on place chirurgicalement un drain transtympanique (yoyo ou diabolo) dont le rôle est d’aérer la caisse du tympan et de faciliter la desobstruction de la trompe d’Eustache. Le diabolo est maintenu en place de quelques semaines à quelques années.
3.3.1.1.5 Otite moyenne aiguë
Souvent secondaire à une rhinopharyngite, l’otite moyenne aiguë doit être soignée rapidement afin d’éviter tout risque de récidive. Il faut donc desobstruer les voies nasales à l’aide de vasoconstricteur, diminuer la douleur par des antalgiques per os, faire une paracentèse en cas d’otorrhée spontanée hyperalgique et choisir une antibiothérapie adaptée pendant 8 à 10 jours. Dans le meilleur des cas, l’otorrhée permet de faire une recherche du germe en cause et diminue les échecs ou les risques de résistance. Dans la pratique, lors de la première otite, l’amoxicilline (CLAMOXYL®) est l’antibiotique de choix. S’il s’agit d’une récidive, le germe en cause produit des béta-lactamases et il est alors préférable de recourir à des antibiotiques plus puissants (AUGMENTIN®, CEFAPEROS®, PEDIAZOLE® ou BACTRIM®)
3.3.1.1.6 L’otite chronique cholestéatomateuse
La traitement est chirurgical et toujours précédé par un traitement antibiotique et antiinflammatoire.
3.3.1.1.7 L’otospongiose
Le traitement est chirurgical. Il consiste en une ablation partielle ou totale de l’étrier (stapédectomie) et de son remplacement par une prothèse. Les résultats sont excellents dans 95 à 98% des cas. Dans 1 à 2% des cas, on observe une aggravation par atteinte labyrinthique d’où la contre-indication d’une opération sur une oreille quand l’autre est totalement sourde. L’action de la chirurgie sur l’évolution des bourdonnements d’oreille est totalement imprévisible.
3.3.1.1.8 La maladie de Ménière
L’objectif principal est de limiter voire supprimer totalement la survenue des crises paroxystiques de vertiges. Pour cela, on dispose de traitements symptomatiques et de la chirurgie, souvent utilisée en dernier recours.
Les médicaments combattant les crises de vertige (SERC®, TANGANIL®, SIBELIUM®, AGYRAX®) ont une action centrée sur le labyrinthe. Lors de crises, on peut les utiliser par voie intraveineuse.
Le traitement chirurgical est proposé lorsque les vertiges ne sont pas contrôlés par la thérapie classique. Selon que l’audition est encore fonctionnelle ou non, le chirurgien choisira entre la décompression du sac endolymphatique et la section du nerf vestibulaire.
3.3.1.2 Les traitements médicamenteux (24)
3.3.1.2.1 Les anesthésiants
La lidocaïne est un anesthésique local régulateur
des troubles cardiaques par effet stabilisant de membrane sur les canaux
sodiques : elle ralentit les échanges ioniques, diminue la vitesse
de dépolarisation, augmente la durée de période réfractaire
et enfin réduit la fréquence de dépolarisation des
fibres. C’est au milieu des années 1930 que l’on observa pour la
première fois les effets des anesthésiques locaux sur les
acouphènes. Ces effets bénéfiques furent prouvés
dans les années 60 lors de tentatives de traitement de la maladie
de Ménière par voie intraveineuse. Mais son action immédiate,
sa courte demi-vie (10 minutes) et ses effets secondaires peu anodins en
font un traitement inutilisable par cette voie. En plus d’une organisation
matérielle lourde (hospitalisation, surveillance de l’électrocardiogramme),
les complications cardiaques (bradycardie, bloc auriculo-ventriculaire,
hypotension) et neurologiques ne sont pas absentes. La dose toxique est
d’environ 300 mg.
L’amélioration est obtenue dans 65 à 80% des cas, mais
pour une très courte durée : 20 minutes seulement.
Aux doses utilisables, les substituts oraux (Tocaïnide) ne sont
pas utilisables car l’emploi de fortes doses augmente les effets secondaires
(intolérance cutanée, vertiges, sudation profonde).
L’efficacité de la lidocaïne, malgré son manque
de maniabilité, a prouvé la possibilité d’une action
rapide d’une substance sur les acouphènes.
3.3.1.2.2 Les anticonvulsivants
Les anticonvulsivants agissent en diminuant la transmission synaptique
au niveau des cellules nerveuses.
La carbamazépine a longtemps été utilisée
dans les études cliniques mais le risque hématologique encouru
est trop important pour en faire un traitement de choix. Le Clonazepam
(RIVOTRIL®) est une benzodiazépine anticonvulsivante dont la
maniabilité est largement plus grande : bonne tolérance,
effets sédatifs limités, facilité d’emploi. Avant
de prescrire un tel médicament, il faut rassurer le patient en lui
expliquant pourquoi il lui est prescrit un anticonvulsivant : l’analogie
des acouphènes avec l’épilepsie explique l’emploi de ces
médicaments.
La forme goutte buvable est la plus maniable. La posologie varie de 5 à 8 gouttes le soir pendant au minimum deux mois et demi avec pour objectif à moyen terme de diminuer très progressivement le traitement jusque l’arrêt total.
3.3.1.2.3 Les anxiolytiques
Ils constituent une part importante de la thérapeutique antiacouphénique.
La famille la plus représentative est celle des benzodiazépines
qui agissent comme anxiolytiques, sédatifs, anticonvulsivants, myorelaxants
en renforçant l’activité des neurones inhibiteurs dans le
cerveau.
Les récepteurs aux benzodiazépines sont en étroite
relation avec le récepteur au GABA (acide gamma-amino-butyrique).
Ce neuromédiateur inhibiteur provoque une ouverture des canaux chlore.
La perméabilité au chlore de la membrane des cellules nerveuses
est augmentée, ce qui atténue l’action de stimuli dépolarisants.
Les benzodiazépines augmentent l’activité du GABA.
Chacune peut être utilisée pour diverses raisons : maniabilité
et effets secondaires minimes (Bromazépam : LEXOMIL®), l’Alprazolam
(XANAX®), préparation du sommeil pour les myorelaxants (Tétrazépam
: MYOLASTAN®) avant d’utiliser pour la nuit l’effet hypnotique du Clonazepam
(RIVOTRIL®).
Avant tout traitement, le rappel de la décroissance progressive
des doses doit être expliquée au patient. Un traitement à
long terme risquerait en effet de diminuer les chances d’habituation.
3.3.1.2.4 Les antidépresseurs
Les antidépresseurs font partie de l’arsenal thérapeutique
utile, dans certains cas, pour lutter contre les acouphènes et/ou
la dépression associée. Cette maladie est la plus fréquente
en psychiatrie, puisqu’elle touche 10 à 20% de la population avec
une prédominance féminine. Les tentatives de suicides dans
les cas les plus graves concernent environ 10 à 20% des cas.
La dépression augmente les symptômes physiques ressentis
: fatigue, insomnies, irritabilité, douleurs… avec pour conséquence
directe une majoration des acouphènes. De plus elle augmente la
demande de soins par son effet néfaste sur la compliance et l’observance
du traitement des malades.
Le traitement par les antidépresseurs ne doit être prescrit
qu’après une analyse fine des symptômes, une évaluation
de l’intensité des troubles, à l’aide de la psychométrie
(échelle mesurant insomnie, irritabilité…)
Il existe d’ailleurs aujourd’hui des questionnaires d’évaluation
qui permettent de quantifier le handicap des acouphènes sur la vie
sociale des malades :
- Tinnitus Effects Questionnaire (Hallam, 1988)
- Iowa Tinnitus Handicap Questionnaire (Kuk, 1990)
Un autre questionnaire, validé par une équipe du laboratoire
du CNRS de Lyon est centré non plus sur le handicap mais plutôt
sur la mesure de la détresse psychologique:
- Tinnitus Reaction Questionnaire
Ce dernier questionnaire se base sur quatre facteurs : la détresse
générale, la situation de travail ou de loisirs, la détresse
sévère et la qualité de vie. Un score global est établi.
Les possibilités thérapeutiques se divisent en deux parties
:
La psychothérapie semble efficace à long terme sur la
souffrance endurée par le patient, notamment avec des techniques
de biofeedback, de thérapies cognitives. Mais peu de cas sont rapportés
dans la littérature.
La chimiothérapie est la seconde thérapeutique efficace.
Une étude portant sur 92 sujets acouphèniques sévères
et chroniques avec des symptômes dépressifs plus ou moins
marqués, a révélé la supériorité
de la Nortriptyline versus placebo à la fois sur la dépression,
et sur l’intensité des acouphènes. Le traitement initial
à 25 mg par jour était augmenté progressivement à
100 mg par jour. Malgré l’effet placebo important, cette étude
illustre l’impact positif de la prise en charge des patients souffrant
de dépression (26).
3.3.1.2.5 Les anti-ischémiques
Peu de vasodilatateurs vendus en France ont aujourd’hui l’autorisation
de mise sur le marché dans l’indication des acouphènes. C’est
le cas du VASTAREL@ (trimétazidine). Sa prise unitaire doit se faire
au moment des repas, deux à trois fois par jour.
Une étude multicentrique en double insu contrôlée
par placebo a été réalisée dans 13 centres
hospitaliers, le but étant de cibler le type d’acouphènes
susceptibles d’être efficacement traités (27). 290 patients,
hommes et femmes ont participé à l’essai jusqu’à la
fin. Ils présentaient des acouphènes subjectifs isolés
ou associés à une hypoacousie, uni ou bilatéraux,
d’étiologie diverse.
Les patients ont été répartis en deux groupes
recevant soit 20 milligrammes de trimétazidine, soit un placebo
à la posologie de trois comprimés par jour durant deux mois.
L’évaluation a porté sur l’intensité et la périodicité
des acouphènes, l’anxiété, les vertiges et la gêne
auditive dans le bruit. L’exploration audiométrique comportait
des examens tels que l’audiométrie tonale et vocale. Enfin l’évaluation
de l’acouphène a été faite par recherche de la fréquence
et de l’intensité (par méthode comparative type Fowler ou
par masquage).
Evolution des symptômes après deux mois :
L’intensité clinique, la périodicité et la gêne
auditive dans le bruit diminuent toutes sous trimétazidine de manière
significative par rapport au placebo. La relation vécu-acouphène
et le score d’anxiété régressent significativement
après deux mois de traitement. Toutefois, la trimétazidine
ne donne pas de meilleure résultats que le placebo dans l’évaluation
des vertiges.
Après ces deux mois, il n’y a pas eu de différence entre
les deux groupes en ce qui concerne la perte auditive moyenne, le seuil
d’intelligibilité et le pourcentage de discrimination.
Toutefois la mesure de l’intensité de l’acouphène semble
varier significativement avec la trimétazidine et ce, quelle que
soit la méthode employée (méthode de Fowler ou masquage).
Deux autres critères ont été retenus pour cette
étude : l’ancienneté des acouphènes et l’origine probable.
Parmi les autres anti-ischémiques ayant l’A.M.M. pour les acouphènes on compte :
? La vincamine (VINCA®)
Le VIDAL® donne cette indication : « proposé pour
améliorer certains symptôme au cours du déficit intellectuel
pathologique du sujet âgé (vertiges, bourdonnements d’oreilles
…) »
Deux dosages existent : VINCA 20 mg ® (deux ou trois comprimés
par jour en prise unitaire au moment des repas) et VINCA 30 mg Retard (une
gélule deux fois par jour aux repas).
? Le Ginkgo biloba (TANAKAN®)
Le Gingko biloba est un arbre originaire d’extrême-orient dont
les principes actifs extraits des feuilles sont des flavonoïdes et
des terpénoïdes (Ginkgolide B). Ces derniers ont une action
vasorégulatrice sur les artères, les capillaires, les veines
et sont de véritables vasodilatateurs cérébraux et
périphériques. Ils inhibent notamment le facteur d’activation
plaquettaire et freinent la coagulation du sang. Ainsi, il améliorent
l’irrigation des tissus par augmentation des circulations veineuses, artérielles
et capillaires. Les effets secondaires sont rares : épistaxis, saignements
des gencives…
Le TANAKAN® est souvent utilisé contre les acouphènes
d’origine ischémique.
D’après le VIDAL®, il peut être « proposé
dans certains symptômes vertigineux et (ou) acouphènes, certaines
baisses de l’acuité auditive d’origine ischémique présumée
» à la posologie de trois comprimés par jour, ou trois
doses quotidiennes en trois prises.
Tous les autres anti-ischémiques, couramment utilisés contre les acouphènes n’ont pas l’A.M.M. En voici la liste et l’indication thérapeutique proposée :
? Cinnarizine, acéfylline heptaminol (SUREPTIL®) :
proposé dans les troubles cochléo-vestibulaires de mécanisme
ischémique
? Dihydroergocristine, lomifylline (CERVILANE®) :
proposé dans les troubles liés au vieillissement cochléo-vestibulaire
(de mécanisme vraisemblablement ischémique)
? Vinburnine (CERVOXAN®),
? Piribédil (TRIVASTAL®),
? Nicergoline (SERMION®),
? Dihydroergotoxine (HYDERGINE®),
? Moxysylyte (CARLYTENE®),
? Codécarboxylate de papvérine (ALBATRAN®),
? Raubasine, dihydroergocristine (ISKEDYL®) ,
? Piribédil (TRIVASTAL®) :
utilisé dans les sensations d’étourdissement du sujet
âgé
? Piracétam (NOOTROPYL®) :
amélioration symptomatique des vertiges
? Raubasine, almitrine (DUXIL®) :
proposé dans les troubles cochléo-vestibulaire d’origine
ischémique
? Naftidrofuryl (PRAXYLENE®)
Son action favorable sur la micro-circulation cérébrale
en fait un médicament potentiellement bénéfique lors
d’acouphènes récents. Une étude récente sur
3547 sujets révéla après deux mois de traitement à
raison de deux gélules de naftidrofuryl 200 milligrammes par jour
que ce traitement était bénéfique : il augmente la
microperfusion cérébrale et cochléaire par son action
vasodilatatrice et augmente la pression partielle en oxygène (28).
3.3.1.2.6 L’homéopathie
Cette médecine consiste à traiter les individus malades à partir de souches diluées dont les effets de la teinture mère chez un sujet sain seraient ceux que l’on cherche à combattre. Ces souches sont d’autant plus actives qu’elles sont diluées. On les conseille à la posologie de 4 granules 3 à 4 fois par jour à des dilutions faibles : 5 à 9 CH.
? Baryta carbonica
? China
? Coffea cruda
? Dulcamara
? Iris versicolor
? Rhododendron
? Silicea
? Viscum album
3.3.1.2.7 La mésothérapie
La mésothérapie est une technique qui consiste à injecter par la voie intradermique des médicaments à l’aide de fines aiguilles. L’avantage de cette technique est la résorption très lente, et l’absence de premier passage hépatique. Les injections sont à base de xylocaïne, procaïne ou de vasodilatateurs. Le mésothérapeute injecte ces substances sur tout le pourtour de l’oreille. Le taux de réussite est très aléatoire et souvent inconstant, même si certains praticiens avancent des chiffres de 10 à 15% de réussite.
3.3.2 Les moyens physiques
3.3.2.1 L’acupuncture
Cette médecine traditionnelle chinoise repose sur le rétablissement de la circulation harmonieuse de l’énergie dans le corps et se présente comme une alternative possible à la thérapeutique occidentale. L’énergie (QI) au sein du corps circule au sein de canaux appelés « méridiens ».En cas de stress, de variations climatiques, d’émotions fortes, de facteurs environnementaux défavorables, le flux d’énergie peut en être perturbé. Le déséquilibre s’installe et apparaît sous forme de maux.
Le champ d’action de l’acupuncture est large : fatigue, faiblesse, migraines,
problèmes respiratoires, circulatoires, locomoteurs, urinaires,
oculaire, cutané, auditif, douleurs…
Dans le cas d’une personne souffrant d’acouphènes, l’acupuncteur
va s’intéresser à l’acouphénique et non aux acouphènes.
En pratique, le praticien utilise des aiguilles fines qu’il place judicieusement
au niveau de méridiens et en différents points du corps.
Les meilleurs résultats sont obtenus dans les premiers jours, les
premières semaines.
Un minimum de dix séances (5 fois par semaine) répété
six mois après semble donner de bons résultats.
Toutefois il n’existe pas d’études scientifiques fiables attestant
la valeur thérapeutique de cette médecine. Même dans
les cas d’acouphènes sévères, l’acupuncture ne donne
pas de meilleurs résultats qu’un placebo (29,30). Certains médecins
acupuncteurs avancent des chiffres non vérifiés aujourd’hui
: 20% de guérison totale, 20% d’amélioration.
3.3.2.2 L’ostéopathie
Cette thérapie manuelle créée au milieu du siècle
dernier par A. Taylot Still vise à rétablir le mouvement
et l’équilibre des différents tissus de l’organisme. Deux
lois fondamentales régissent cette discipline :
? Il existe une intégrité de structure : tous les tissus
sont liés les uns aux autres quels qu’ils soient
? L’organisme possède un système de maintien de son homéostasie
Ces deux notions se résument par la célèbre phrase
: « la structure gouverne la fonction ».
Par différents tests de mobilité articulaires (vertébral
et périphérique), viscéral et crânien, l’ostéopathe
évalue l’état des différents systèmes du corps
humain et leurs interrelations pour découvrir la ou les causes du
problème du patient et restaurer ainsi un état harmonique.
L’acouphénie y trouve sa place puisque la théorie veut
que toute lésion structurelle perturbe une ou plusieurs des fonctions
physiologiques : c’est la cas par exemple de la compression d’une artère
vertébrale par une vertèbre cervicale. L’oreille est alors
moins bien irriguée en sang et une ischémie se développe
au dépens des cellules cochléaires.
Les critères à retenir lors d’acouphènes pouvant
être traités par ostéopathie sont :
? Une modification des acouphènes lors du changement de position
de la tête
? L’unilatéralité du phénomène acouphénique
? Des acouphènes juvéniles avec performances auditives
normales
Dans ce cas on peut envisager environ 12% de succès
3.3.2.3 Le caisson hyperbare
Cette technique est efficace lorsque les acouphènes sont récents et font suite à une surdité brusque, un traumatisme sonore, une hémorragie endocochléaire, ou un œdème de la membrane basilaire. Le patient respire dans une chambre pressurisée un mélange de 93% d’oxygène et 7% de gaz carbonique. L’oxygène peut ainsi pénétrer profondément les tissus indépendamment d’une irrigation sanguine déficiente.
Une étude allemande a été tentée en 1996 sur 1000 patients atteints d’acouphènes récents (moins de 3 mois) pour lesquels les méthodes thérapeutiques classiques n’aboutissaient pas à de bons résultats. Le traitement consistait en une séance quotidienne de 90 minutes sous une pression d’oxygène de 2,5 bars. Les performances auditives ainsi que l’intensité des acouphènes étaient mesurées avant et après traitement. Les résultats sur l’audition et les acouphènes furent analogues : 30% d’amélioration très nette, 20% des patients retrouvèrent une audition normale ou une nette amélioration des acouphènes (31).
Il est essentiel toutefois de pratiquer cette technique le plus rapidement
possible après l’épisode de surdité brusque. Le résultat
en dépend. Parallèlement, des perfusions de piracétam
(NOOTROPYL@) peuvent être associées. Repos physique, psychique
et interdiction de fumer sont de rigueur en attendant une amélioration.
En France hélas, peu d’hôpitaux sont équipés
de ce genre d’appareil qui mobilise souvent beaucoup de personnel pour
des résultats souvent décevants.
Une seule contre-indication s’oppose à l’utilisation du caisson
hyperbare : l’otospongiose opérée.
3.3.2.4 Le masquage sonore
L’acouphène peut être perçu comme une source stressante chez certains patients d’où l’idée de masquer ce bruit par un autre bruit moins intrusif : le grésillement du poste de radio entre deux fréquences par exemple.
C’est à la suite de cette observation que des médecins
ont préconisé il y a une dizaine d’années le port
de prothèse auditive masquant totalement l’acouphène par
un son dont la fréquence varie de 1500 à 8000 Hz et de 45
à 90 dB. Les masqueurs, sous forme de prothèses auditives
génèrent une bande de bruit qui détourne l’attention
des acouphènes. Ce bruit, contrairement aux acouphènes est
une source extérieure, modulable par le patient, et surtout sans
valeur affective.
Toutefois, cette méthode s’avère contre-productive. En
effet, dès que l’on retire le masqueur, l’acouphène revient
: l’accoutumance recherchée ne peut pas se produire en l’absence
de perception. Peut-on imaginer soigner sa phobie des araignées
simplement en les évitant ?
3.3.2.5 La stimulation électrique
L’électro-stimulation transcutanée (E.S.T.) est une méthode
connue depuis le début du XIXème siècle et ne s’avère
pas spécifique aux acouphènes. Elle consiste simplement à
faire passer un courant entre deux électrodes fixées sur
la peau.
Cette méthode est utilisée :
? En chirurgie dans les douleurs post-opératoires,
? En ORL dans les névralgies faciales, les obstructions nasales,
les sinusites,
? En rhumatologie dans l’arthrite, l’arthrose, les lombalgies, les
sciatiques,
? En neurologie dans les douleurs des moignons, la section des nerfs,
les neuropathies, la migraine, les séquelles de zona,
? En traumatologie dans les claquages, les entorses, les torticolis,
? En neuropsychiatrie en cas d’anxiété, d’insomnies,
? En cardiologie dans l’hypertension, la tachycardie, les artérites.
Un courant continu de quelques milliampères est appliqué
sur le promontoire (saillie osseuse de la caisse du tympan). Cette méthode
(appelée « implantation cochléaire ») est efficace
mais présente des inconvénients non négligeables :
tant que dure la stimulation, les acouphènes disparaissent. Mais
le milieu se comporte comme un bac à électrolytes et le passage
du courant continu perturbe la répartition ionique de part et d’autre
des membranes.
L’utilisation de courant électrique intermittent peut être
tenté, souvent avec succès, en cas de cophose (surdité
totale). Une électrode est placée au niveau tympanique ou
bien en surface à proximité des deux oreilles.
En 1982, Denis MARIDAT présentait une thèse en vue de
l’obtention du diplôme de Docteur en médecine sous le titre
« Contribution au traitement des acouphènes par l’électrostimulation
transcutanée ». L’auteur concluait : « sur 100 malades
de notre série, 41 ont été soulagés par L’E.S.T.
». Le mécanisme et le lieu d’action de l’E.S.T. demeurent
encore inconnues.
3.3.3 Les approches psychothérapeutiques
Toutes les approches psychothérapeutiques s’appuient sur l’explication,
qui est la première démarche que doit assurer le praticien.
Notamment, il lui faut expliquer le rôle de l’audition dans l’alerte,
les mécanismes de genèse des acouphènes, la boucle
de l’attention auditive (« plus je tends l’oreille et plus je perçois
des acouphènes »), prouver l’absence de facteurs de risque
(tumeurs, lésions…).
3.3.3.1 Les thérapies cognitives et comportementales
Les voies auditives sont en étroite relation anatomique avec
la région génératrice des émotions (système
limbique) et le système nerveux autonome, impliqué dans les
réactions d’alerte.
La tolérance des acouphènes dépend étroitement
de ces connexions. Dans les cas extrêmes, les patients se replient
sur eux-mêmes, évitent les sorties et leur attention reste
sans cesse fixée sur les acouphènes (25).
La thérapie se déroule sur plusieurs séances et se divise en deux étapes : l’étape cognitive consiste à informer le patient sur le symptôme, lui donner des notions sur l’audition et sur les acouphènes, lui montrer le décalage entre la plainte qu’il exprime et l’intensité des acouphènes. La phase comportementale propose des alternatives au réflexe conditionné par des techniques de relaxation et des moyens pour gérer le stress et les situations angoissantes lorsque l’acouphène est trop présent.
3.3.3.2 La Tinnitus Retraining Therapy (T.R.T.) et les générateurs de bruits blancs
3.3.3.2.1 Les principes
L’habituation à l’acouphène est un phénomène
spontané. En effet, d’une manière générale
l’organisme est capable de s’habituer à un signal externe, qu’il
soit tactile, visuel ou sonore. Si celui-ci ne représente pas de
caractère de danger, il est intégré, classé
comme source non-dangereuse et mis de côté non sans être
toujours perceptible.
Ainsi, si nous sommes conscients au départ du bruit de la pluie
qui commence à tomber, très vite nous cessons de «
l’entendre ». On entend plus le bruit mais si on l’écoute,
il continue à être perceptible.
La Tinnitus Retraining Therapy (T.R.T.) repose en grande partie sur
la capacité d’une personne à s’habituer à un signal
et à faire en sorte que ce signal soit si bien intégré
au subconscient qu’il n’atteint pas la perception consciente.
Le but thérapeutique de cette méthode est donc pour le
patient d’atteindre un état d’accoutumance suffisamment avancé
pour ne plus être dérangé par ses acouphènes.
Au milieu des années 80, le Professeur Jastreboff créait un modèle neuro-physiologique des acouphènes qui postulait que le système limbique jouait un rôle essentiel dans la perception des acouphènes. C’est ainsi qu’est née la T.R.T.
La T.R.T. ou « thérapie acoustique d’habituation »
est une méthode destinée à ré-entraîner
le système auditif afin de ne plus entendre les acouphènes.
Elle a deux composantes : l’une psychologique et l’autre prothétique.
La première vise à changer l’état d’esprit du
patient vis à vis des acouphènes. La seconde utilise un générateur
de bruit blanc qui réduit progressivement l’hypersensibilité
du cerveau.
La composante psychologique de la thérapie acoustique d’habituation :
? Innocenter l’acouphène :
Beaucoup de patients se plaignent de leurs acouphènes parce
qu’ils sont dérangeants, notamment la nuit en les réveillant.
Or si l’acouphène est bien présent lors du réveil
nocturne, il n’est pas contrairement aux idées reçues à
l’origine de ce réveil car ne venant pas de l’extérieur.
En effet un système de barrière entre le cerveau conscient
et inconscient empêche le passage d’influx nerveux correspondant
à l’acouphène. Mais lorsque l’on se réveille, la barrière
se lève et l’acouphène est à nouveau perçu.
L’acouphène est aussi fréquemment accusé d’être
à l’origine de la baisse d’acuité auditive. Or c’est bien
le contraire qui a lieu : l’acouphène est produit par le cerveau
parce qu’il y a déficience auditive, d’où l’intérêt
certain des prothèses auditives dans les cas de surdité avérés.
? Apaiser les craintes :
Nombreux sont les patients à remarquer des augmentations d’intensité
de leurs acouphènes de manière totalement imprévisible.
Ces variations augmentent le stress et enferment les malades dans un cercle
vicieux. La réponse du médecin est essentielle et doit être
rassurante. L’acouphène est d’autant plus perçu que l’attention
qui lui est donnée est grande : en cas de stress, d’angoisses, de
mal-être, autant de symptômes « gérés »
par le système limbique.
La surdité apparente est à l’origine de nombreuses appréhensions
qu’il faut apaiser rapidement. En effet, la surdité tire son origine
de la cochlée. Or les acouphènes sont produits non pas par
la cochlée (même si elle est souvent à l’origine du
dysfonctionnement) mais par le cerveau.
? Déconditionner l’individu :
L’audition est un sens constamment en alerte. Chaque bruit entendu
est évalué par le cerveau puis filtré selon son importance.
Chez certains patients, les acouphènes représentent une telle
menace que toute l’attention y est portée de manière continue.
C’est ce conditionnement qu’il faut enrayer.
Composante acoustique de la thérapie acoustique d’habituation :
Le cerveau analyse l’acouphène par rapport au niveau de référence.
L’attention portée sur les acouphènes est d’autant plus importante
que le niveau de référence est faible. Ainsi l’objectif de
la thérapie est de déconditionner le cerveau en réduisant
l’écart entre la perception des acouphènes et le niveau sonore
de référence, d’où l’idée d’utiliser un générateur
de bruit sur 18 à 24 mois consécutifs.
Le Tableau XII illustre ces remarques : Dans le silence le contraste
entre les deux niveaux est grand. Il est réduit lorsqu’un bruit
de fond est maintenu.
L’introduction du bruit de fond ne masque pas l’acouphène mais
en diminue son intensité. Le bruit seul ne suffit pas à déconditionner
le sujet. En effet l’aide acoustique a une faible efficacité si
elle n’est pas alliée avec la composante psychologique.
Tableau XII : Contraste entre perception des acouphènes et niveau
de référence
Quelques règles essentielles doivent être suivies :
? Eviter le silence total systématiquement même en cas
d’hyperacousie associée.
? Ne pas masquer totalement l’acouphène avec le générateur
de bruit même en cas de variations d’intensité. Le masquage
sonore total aboutit à l’effet inverse de celui que l’on recherche
: masquer l’acouphène empêche de s’y habituer car on ne peut
s’y habituer que si l’on continue de l’entendre.
? Le son apporté au cerveau doit être le même dans
les deux oreilles. Dans le cas contraire, il risque de s’installer un déséquilibre.
? Le niveau sonore doit être choisi consciencieusement. Trop
puissant il empêche le cerveau de s’habituer. Trop faible, il retarde
l’habituation car il est inefficace.
Modalités pratiques :
Dans la pratique, il est possible d’utiliser deux types de prothèses
: Les générateurs de bruits blancs et les prothèses
auditives.
Les générateurs de bruits blancs produisent un son à
peine perceptible en large bande (contenant toutes les fréquences
audibles). Il est recommandé de garder l’appareil 6 heures par jour
à une intensité légèrement inférieure
à celle de l’acouphène sans jamais le masquer (32).
La puissance sonore dépend de la symptomatologie et doit être
adaptée à chaque malade par le médecin. Le but est
d’intervenir sur la plasticité du système nerveux grâce
à une modification du seuil auditif.
Les prothèses auditives s’adressent aux patients dont l’acuité auditive est faible : Environ 85% des patients atteints d’acouphènes sont victime d’une hypoacousie sur une certaine bande de fréquence (souvent vers 4000 Hz). Le fait de moins bien entendre, de « tendre l’oreille », renforce naturellement l’attention portée sur les acouphènes. Ces prothèses ne sont pas toujours bien supportées ni acceptées mais en aucun cas elles augmentent l’acouphène.
Le niveau sonore dépend de la symptomatologie :
? L’acouphène est isolé : deux générateurs
de bruit blanc sont installés de manière symétrique
? L’acouphène s’accompagne de déficience auditive : deux
aides amplificatrices sont nécessaires. La préférence
ira aux aides numériques pour la qualité de vie qu’elles
procurent malgré leur coût prohibitif et la faible prise en
charge.
? L’acouphène s’accompagne d’hyperacousie avec ou sans déficience
acoustique. On procède en deux temps :
Pendant 4 à 6 mois, on préconise le port de deux générateurs
de bruit blanc à faible niveau afin de désensibiliser le
système nerveux central. En effet d’après le Professeur Jastreboff,
l’hyperacousie entraîne une amplification de la sensibilité
aux bruits et retarde l’habituation. Dans un deuxième temps, lorsque
l’hyperacousie a diminué deux situations se présentent :
l’acouphène est isolé ou s’accompagne de surdité.
Dans le premier cas, on passe au générateur de bruit blanc
en optimisant la puissance sans jamais masquer l’acouphène. Dans
le second cas, on procède à une amplification sur les deux
oreilles à l’aide de prothèses auditives adaptées.
3.3.3.2.2 Les avantages et les inconvénients
Pour la première fois dans l’histoire des acouphènes,
il a été possible de démontrer que l’on pouvait s’habituer
à la présence des acouphènes et que cette habituation
était une forme de guérison.
Toutefois, il est très difficile de prouver que cette méthode
est efficace car elle ne repose que sur le pouvoir de perception propre
à chacun : nous sommes seuls à pouvoir exprimer ce que nous
ressentons. L’interprétation des résultats est donc très
subjectice.
3.3.3.2.3 Résultats
Une récente étude anglaise a analysé les résultats de tests effectués sur des patients acouphéniques (33) : Il s’agissait de connaître le pourcentage de patients ayant subi un programme de T.R.T. et dont les symptômes étaient améliorés, notamment la perception des acouphènes, et leur impact sur la vie sociale. Cinq classes de patients étaient définies selon l’atteinte auditive auquelles était corrélé un traitement particulier avec accompagnement psychologique, port de prothèses auditives, et utilisation de générateur de bruits blancs. 483 patients participaient à cette étude, 224 sont restés jusqu’à la fin. En moyenne, le « traitement » a duré 27,7 mois (soit plus de 2 ans) avec des extrêmes à 6 et 96 mois (8 ans). Le maximum est atteint par des sujets handicapés : présentant à la fois des acouphènes et un déficit auditif.
Après 6 mois de « traitement », 70% des personnes
interrogées présentent une baisse d’au moins 40% des symptômes
mesurés : contrariété, retentissement et perception
des acouphènes, facteurs de la vie sociale (concentration, repos,
travail, vie social, sport ou activités familiales).
A la dernière visite, variable dans le temps selon les cas,
le pourcentage atteint 83%.
Une autre étude révèle qu’après un an de
T.R.T., 70% des patients présentant des acouphènes et 90%
des patients acouphéniques et déficients auditifs présentent
des améliorations significatives.
La T.R.T. ne guérit pas. Son objectif est de faire en sorte
que les acouphènes ne perturbent plus la vie de ceux qui en souffrent.
3.3.3.3 L’hypnose (34,35)
L’hypnose, selon deux études anglaises récentes ne semble pas donner de résultats meilleurs que la thérapie d’habituation. En effet, après trois sessions d’hypnose étalées sur trois mois, les auteurs de l’étude rapportent un taux d’amélioration de 68% de l’impact des acouphènes sur la vie sociale. Toutefois, les bénéfices obtenus concernent principalement des sujets dont l’acuité auditive n’est pas ou peu altérée.
3.3.4 La thérapie locale, dernier espoir ?
La grande majorité des acouphènes sont secondaires à une libération excessive de glutamate. Comme nous l’avons déjà signalé, le glutamate régule l’activité du nerf auditif. Dans certaines pathologies (presbyacousie, ischémie, traumatisme acoustique), le dérèglement synonyme d’hyperactivité des fibres du nerf auditif serait à l’origine des acouphènes. Or de tels phénomènes induisent une expression accrue des récepteurs post-synaptiques au glutamate (récepteurs NMDA) provoquant un emballement sensiblement voisin de celui qui est présent chez un épileptique. Ainsi, il est raisonnable de penser qu’une thérapie locale centrée sur le glutamate ouvrirait des perspectives thérapeutiques non négligeables. En effet jusqu’à ce jour, l’action des molécules régulatrices de l’activité cérérale s’accompagne toujours d’effets secondaires importants lorsqu’elles sont administrées par voie générale. L’exemple le plus connu étant l’effet délétère des antiglutamates sur la mémoire et l’apprentissage. Depuis quelques années, l’arrivée de cathéters permettant d’accéder directement sur la fenêtre ronde augmente les chances de réussite et diminue l’incidence des effets secondaires (36,37).
En effet, la voie transtympanique utilisée chez l’animal semble
donner des résultats encourageants avec les bloqueurs des récepteurs
NMDA, ou des molécules antiglutamate actuellement utilisées
chez les sujets porteurs de maladies dégénératives
(sclérose latérale amyotrophique, maladie d’alzheimer…) ou
épileptiques. D’autres molécules sont en cours d’étude.
Il s’agit principalement de substances libérées par les terminaisons
efférentes (enképhalines, dopamine, GABA).